SIDA : AFFAIRE GALLO, ACTE 2

12ème Congrès Mondial du Sida (Genève, 28 juin - 2 juillet 1998)

 

Nouveau rebondissement dans l’affaire Robert Gallo
La première affaire Gallo remonte au document publié par John CREWDSON dans le Chicago Tribune le 19 novembre 1989, qui contraignit le National Institute of Health américain à ouvrir une enquête sur les pratiques de Robert Gallo dans l’affaire de l’isolement du VIH(1). Le rapport final innocenta Robert Gallo, malgré les protestations de nombreux scientifiques américains. A travers les remous de la grande presse, le public savait que l’affaire avait pris une envergure surtout politique.

Six ans et demi plus tard, après le 12ème Congrès Mondial du Sida, un nouveau rebondissement dans l’Affaire Gallo pourrait voir le jour. Reprenant les études sur lesquelles se fonde la recherche sur le Sida depuis 1984 (2), deux articles parus dans Virology (3), relèvent des questions très embarrassantes dans les techniques utilisées pour isoler le VIH (Virus d’Immunodéficience Humaine). Aujourd’hui, on se pose la question de savoir si Robert Gallo a réellement isolé ce virus. Pionnier de la microscopie électronique, le Professeur Etienne de Harven a travaillé pendant vingt-cinq ans sur l’observation des rétrovirus au Sloan Kettering Institute de New York. Il décrit les phases de l’isolement d’un virus par les méthodes traditionnelles, jusqu’à la photographie qui permet de l’observer et de l’identifier. Il compare ces méthodes à celles de la biologie moléculaire utilisées par Robert Gallo.

Isolement des virus par ultrafiltration acellulaire (4) -
“ Quand nous isolions les rétrovirus de souris dans le laboratoire de Charlotte Friend, nous utilisions des filtres de porosité de plus en plus fine pour éliminer les cellules, les débris cellulaires, les bactéries et les particules de plus en plus petites, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un filtra acellulaire. A chaque étape de la filtration, nous contrôlions que l’activité était toujours présente, en infectant des souris susceptibles. Nous prenions finalement des filtres d’une porosité trop petite pour laisser passer des cellules entières ou des bactéries. Si l’activité était toujours présente, on avait démontré qu’il existait un agent filtrant capable de transmettre la maladie. Pour les rétrovirus (5), nous perdions l’activité infectieuse avec des filtres de porosité 0,1µm. La taille de l’agent devait être légèrement supérieure à 0,1µm. Nous retrouvions les conditions connues du Sarcome de Rous (6), la référence dans ce domaine. On centrifugeait ensuite à 30 000g pendant deux heures, et les virus se retrouvaient dans le culot de centrifugation. De nombreux chercheurs utilisaient cette méthode. Elle permettait une étude biochimique solide, et d’obtenir des photos grâce au microscope électronique, qui confirmaient les travaux d’ultrafiltration. On voyait clairement le virus entier et purifié. Toutes les particules étaient identiques, car elles appartenaient à la même famille de virus ”. (photos n°1 : virus isolé sur des souris). L’isolement d’un virus qui prolifère dans un organisme infecté ne présente pas de difficulté majeure. En 1962, André Lwoff (7) fit une conférence à l’institut de recherche de Cold Spring Harbour, près de New York. Il affirma alors que la méthode la plus sûre pour classer les virus était leur morphologie, telles qu’elle apparaît au microscope électronique. De telles paroles représentaient une véritable consécration au plus haut niveau de la virologie académique pour la microscopie électronique.

Les mutations du VIH n’influencent pas de telles expériences. Le VIH reste un rétrovirus, un virus à ARN. Il est d’une taille et d’une morphologie communes à tous les rétrovirus, 0,1µm. Mais toutes les particules de cette taille ne sont pas des virus. On rencontre des virus-like-particles, ou des débris cellulaires qu’il faut différencier des virus. D’où l’importance de respecter rigoureusement le protocole d’isolement. Pour Etienne de Harven, “ il est absolument invraisemblable que l’on ne nous ait jamais montré de photos du VIH purifié ” (aussi claires que la photo n°1). C’est comme si on n’avait jamais isolé le VIH selon cette technique, simple et reproductible.

Isolement d’un virus par la biologie moléculaire -
Elle consiste à provoquer des réactions chimiques pour identifier des “ marqueurs ” tels que la Transcriptase Inverse (8), des molécules d’ARN sensées représenter des fragments du génome viral (ou acide nucléique), et des protéines. On sédimente un échantillon de culture infectée dans un gradient de sucrose, par centrifugation à la densité 1,16gm/ml (densité à laquelle les rétrovirus sédimentent). Grâce à la PCR (9), on amplifie les fragments d’acide nucléique obtenus, et l’on affirme pouvoir mesurer la virémie (ou charge virale). Etienne de Harven nous rappelle les éléments suivants :

1) La densité 1,16gm/ml est bien la densité à laquelle sédimentent les rétrovirus dans un gradient de sucrose, mais elle n’est pas spécifique aux rétrovirus, elle n’est donc pas suffisante pour conclure à l’isolement d’un rétrovirus. Des débris cellulaires, de l’acide nucléique et d’autres particules peuvent sédimenter à la même densité. Cette technique ne prouve pas que l’on a isolé un rétrovirus.

2) Une quinzaine d’années après sa découverte, la non-spécificité de l’enzyme Transcriptase Inverse a été démontrée avec certitude. Sa présence ne permet pas d’affirmer que l’on a isolé un rétrovirus. On la retrouve dans des cellules normales, qui ne contiennent pas de rétrovirus.

3) La même remarque s’applique à l’identification des protéines considérées comme spécifiques.

4) Kary Mullis, inventeur de la PCR, soutient que la détection des marqueurs par amplification génétique ne signifie pas que l’on a isolé un virus. La PCR doit être utilisée avec beaucoup de prudence, et uniquement sur des échantillons viraux déjà hautement purifiés.

Il est donc irrationnel de parler d’isolement d’un rétrovirus, et a fortiori d’un rétrovirus purifié, à partir d’expériences de biologie moléculaire, si elles ne sont pas confirmées par d’autres techniques telles que la microscopie électronique, voire même l’ultrafiltration. Les deux articles de Virology confirment que la centrifugation à la densité 1,16gm/ml est insuffisante pour démontrer l’isolement d’un rétrovirus. Tandis que les autres marqueurs viraux identifiés (protéines ou enzymes) ont peu de chance d’avoir la moindre spécificité virale. Ces révélations sont d’une gravité extrême. Car les mêmes “marqueurs” sont utilisés depuis toujours pour développer les tests dits de séropositivité au VIH, Elisa et Western Blot (10). La fiabilité de ces tests serait donc remise en cause. Avec ces arguments, Etienne de Harven et d’autres scientifiques estiment aujourd’hui que Bob Gallo n’a jamais prouvé qu’il avait isolé le VIH. C’est le nouveau rebondissement de l’affaire Gallo, suite logique de la controverse entamée il y a plus de dix ans.

INTERVIEW DE ETIENNE DE HARVEN

Du cancer au sida.

Q - Vous avez participé à la recherche de rétrovirus humains ?

EDH - Dans les années 60, on espérait trouver dans les cancers et leucémies humaines les mêmes particules virales que chez les animaux. La biologie moléculaire en était à ses débuts. La microscopie électronique était la meilleure méthode pour rechercher des virus dans des tissus cancéreux. Nous avons observé des centaines de tumeurs humaines dans les laboratoires du Sloan Kettering Institute, sans le moindre résultat. En 1965, je fis une conférence au Wistar Institute de Philadelphie, et plus tard à l’Institut du Cancer de Villejuif, à Paris, pour indiquer mon scepticisme sur le rôle des rétrovirus dans les tumeurs humaines. Je repris le titre du célèbre roman de Joseph Steinbeck, “ Des Souris et des Hommes... ” : Ce qu’on avait observé sur les souris ne donnait rien de tangible avec les patients cancéreux.

Q - Mais qu’avez-vous découvert sur les rétrovirus ?

EDH - Le microscope électronique nous a permis d’observer les étapes du bourgeonnement des virus à la surface des cellules infectées, et nous avons décrit cela avec le mot “ budding ” : la cellule infectée participe directement à la future enveloppe des virus qui gagnent l’espace intercellulaire. Grâce à ces observations, on a pu éliminer des milliers de débris cellulaires ou virus-like-particles (particules ressemblant à des virus), qui risquaient de “ contaminer ” la littérature médicale. Pendant le bourgeonnement des particules à la surface des cellules, nous avons vu que les cellules infectées restaient parfaitement viables. Il n’y avait pas d’effets cytolitiques dus à l’infection virale. Autre confirmation de la viabilité des cellules, nous avons fréquemment vu des virus dans des cellules au moment de leur division mitotique. Les rétrovirus n’étant pas cytolitiques (tueurs de cellules infectées), il fut surprenant d’entendre Bob Gallo prétendre que le VIH était responsable de la mort des lymphocytes T4. Cette explication de la déficience immunitaire des malades sidéens est en contradiction avec une donnée essentielle de la rétrovirologie.

Q - Robert Gallo a quand même isolé deux rétrovirus...

EDH - La Transcriptase Inverse fut découverte en 1970. On pouvait enfin expliquer comment l’ARN des rétrovirus entraînait une mutation des cellules infectées. Sachant qu’ils ne tuaient pas les cellules, cela faisait d’eux de parfaits candidats oncogènes. Ils infectaient les cellules, qui mutaient et devenaient cancéreuses. Mais observer et causer sont deux choses différentes. Les propriétés oncogéniques d’un virus ne se démontrent pas au microscope électronique, en l’observant. Quand le Président Nixon déclara “ la guerre au cancer ”, Gallo (11) s’imposa comme l’un des hommes forts et il reçut des crédits monumentaux, sans proportion avec les orientations de la cancérologie à cette époque. Il n’y en avait plus que pour lui. Les résultats de ses travaux étant peu convaincants, les scientifiques lui portaient des jugements d’une grande sévérité. Les critiques fusaient en tous sens. Les HTLV1 et 2 sont nés du besoin urgent d’obtenir des résultats. C’était en 1980, et ces travaux sont très controversés, aujourd’hui encore.

Q - Comment les mêmes chercheurs sont-ils passés du cancer au sida ?

EDH - A partir des années 70, les méthodes de la recherche oncologique furent progressivement dominées par la biologie moléculaire. L’identification de “ marqueurs ” - enzymes, antigènes, protéines, séquences génétiques, etc. - fut considérée comme la preuve qu’il y avait une infection virale. On excusa le fait qu’on ne pouvait pas voir les particules virales qui, expliquait-on, s’intégraient dans les chromosomes des cellules infectées. Quand Michael Gottlieb décrivit le syndrome de déficit immunitaire des premiers homosexuels, tous les observateurs savaient que Bob Gallo allait s’y intéresser, pour justifier les énormes budgets dont il avait bénéficié. La découverte d’un nouveau rétrovirus par les techniques moléculaires, l’association de la nouvelle maladie au sarcome de Kaposi (12) dans un premier temps, permit de construire un pont entre le cancer et le Sida. Puis on annonça que la présence d’anticorps dans le sang était synonyme de maladie. La relation cancer/sida se prolongea au niveau thérapeutique, quand les Laboratoires Wellcome (aujourd’hui Glaxo-Wellcome) ressortirent des tiroirs la zidovudine (AZT), une chimiothérapie anticancéreuse vieille de 20 ans, abandonnée pour sa toxicité.

En conclusion...
Quand Max PLANCK découvrit la théorie des Quanta en 1900, il rencontra une grande opposition à son époque de la part de ses pairs. Il dit alors : “ Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convainquant ses opposants et en leur faisant entrevoir la lumière, mais plutôt parce que les opposants mourront un jour et qu’une nouvelle génération, familiarisée avec elle, prendra leur place ”.
Les accusations portées contre Robert Gallo n’ont pas eu de conséquences majeures à ce jour. Comme pour les nouvelles découvertes scientifiques, elles risquent de perturber l’ordre établi. Mais une nouvelle génération prendra bientôt la place de celle qui a accrédité des travaux sur lesquels pèsent aujourd’hui des doutes justifiés. Dans l’intérêt de la science et des patients, espérons qu’une plus grande ouverture d’esprit permettra alors de donner de véritables réponses aux questions restées en suspend.

NOTES -

1) Voir Le Recherche de Janvier 1994, “ L’affaire Gallo ” de Robert Bell. Finalement,
1°) les scientifiques nommés pour contrôler l’intégrité de l’enquête affirmèrent leur désaccord avec le jugement final (Richards Committee),
2°) le jugement innocenta Robert Gallo dans l’incompréhension générale.
2) Barré-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F et al. Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (Aids). Science 220 - 1983 : 868-871.
Gallo RC, Salahuddin SZ, Popovic M et al. Frequent detection and isolation of cytopathic retroviruses (HTLV3) from patients with Aids and at risk from Aids. Science 224 - 1984 : 500-503.
3) Gluschankof P, Mondor I, Gelderblom HR & Sattentau QJ, 1997. Cell membrane vesicles are a major contaminant of gradient-enriched human immunodeficiency virus type-1 preparations. Virology 230 : 125-133.
Bess JW Jr, Gorelick WJ, Bosche WJ, Henderson LE & Arthur LO, 1997. Microvesicles are a source of contaminating cellular proteins found in purified HIV-1 preparations. Virology, 230 : 134-144.
4) Etienne de Harven est l’un des chercheurs spécialisés dans l’utilisation du microscope électronique en virologie. Il a passé de nombreuses années à isoler et observer les rétrovirus associés aux leucémies de souris. En 1965, il a développé une technique d’isolement des virus à partir du sang de souris leucémiques (Pathologie-Biologie, vol.13, pp.125-134).
5) Les virus à ARN associés au tumeurs des animaux de laboratoires ne portaient pas ce nom dans les années 50-60. Ils s’appellaient des “ oncovirus ”, car on les trouvait dans des tumeurs cancéreuses animales (onkos = tumeur).
6) Peyton Rous découvrit le premier virus oncogène à ARN, le virus du sarcome des poulets, en 1911.
7) Prix Nobel de physiologie et de médecine avec François Jacob et Jacques Monod (1965). Il a travaillé à l’Institut Pasteur, puis à l’Institut de Recherche sur le Cancer de Villejuif.
8) Voir note iv. La Transcriptase Inverse fut écouverte en 1970 par Temin et Baltimore (Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1975, avec Dulbecco). Les rétrovirus l’utilisent pour s’intégrer dans l’ADN des cellules qu’ils infectent.
9) Polymerase Chain Reaction découverte par Kary Mullis, Prix Nobel de Chimie en 1993.
10) Papadopulos-Eleopulos E., Turner V. F., Papadimitriou J. Is a positive Western Blot proof of HIV infection ? - 1993 - Bio/Technology - 11:696
11) Les scientifiques spécialisés dans le sida étaient des responsables de la recherche sur le cancer. Robert Gallo travaillait au National Cancer Institute de Bethesda près de Washington, au Laboratory of Tumor-Cell Biology. Luc Montagnier dirigeait le laboratoire d’oncologie de l’Institut Pasteur à Paris.
12) Le Sarcome de Kaposi est une forme de cancer vasculaire de la peau.


RENAUD RUSSEIL RETOUR Á L'INDEX CONTACTS NOS PUBLICATIONS COMMANDES et DONATIONS