LA SAGESSE DU PLAISIR


Le système immunitaire possède trois grandes lignes de défense. Les macrophages, cellules produites par la moelle osseuse, attaquent tout ce qui menace l'organisme. Les intrus sont assimilés et digérés. Les macrophages sécrètent aussi de l'interleukine 1, qui stimulera d'autres cellules, les lymphocytes. Il existe plusieurs types de lymphocytes: ceux transformés par le thymus, les lymphocytes T, et ceux produits par la moelle osseuse, les lymphocytes B. L'interleukine 1, sécrétée par les macrophages, est dirigée vers les lymphocytes T auxiliaires, chargés de mobiliser une deuxième ligne de défense au moyen de l'interleukine 2. Cette dernière pourra détruire toutes les cellules étrangères à l'organisme (comme les cellules cancéreuses, les microbes, les bactéries et les virus); elle est formée des lymphocytes T cytotoxiques et des cellules tueuses naturelles. Enfin, une troisième ligne de défense est constituée d'anticorps spécifiques, dotés d'une mémoire qui leur permet de reconnaitre les antigènes rencontrés auparavant. Ce remarquable système de défense, chargé de préserver l'intégrite de notre être, est formidablememt construit, mais aussi extrêmement fragile.

La membrane des lymphocytes et des macrophages possède des récepteurs sur lesquels peuvent se fixer de nombreuses substances chimiques comme les neurotransmetteurs et les hormones. Le système immunitaire envoie aussi des messages au cerveau avec qui il dialogue véritablement (2).
L'etat psychologique particulier du sujet qui renonce à maitriser les situations déplaisantes a une influence négative sur le système immunitaire (3). Le rôle des interleukines dans le fonctionnement du système immunitaire est important. En situation de déplaisir soutenu, les glandes surrénales sécrètent du cortisol et le système sympathique, de la noradrénaline - deux substances qui suppriment l'activité du système immunitaire.

La présence de cortisol dans le sang est concomittante à un affaiblissement du système immunitaire (4). De plus, l'inaptitude à faire face à la situation détermine la réponse en cortisol. En situation d'anticipation de combat, il a été prouve que la sécrétion était plus importante qu'en situation réelle de combat (5). Les glucocorticoides, comme le cortisol, bloquent la sécrétion des interleukines et, du coup, l'activité du système immunitaire.

La présence de cortisol n'explique pas totalement les déficiences du système immunitaire en situation stressante, comme le montrent des experiences faites sur les animaux dont on a enlevé les glandes surrénales (6). Le système sympathique noradrénergique innerve les organes lymphoides (thymus, rate, ganglions lymphatiques, appendice, moelle osseuse, tissu lymphoide intestinal, etc.), lesquels jouent tous un rôle dans l'activite immunitaire. La noradrénaline sécrétée par le système sympathique diminue la réponse immunitaire (7). Dans le système nerveux central, la réduction en noradrénaline est en dopamine (qui stimulent le système de plaisir) s'accompagne d'une augmentation du taux de cortisol périphérique et d'une suppression immunitaire (8). L'augmentation centrale de la sérotonine, neurotransmetteur du système inhibiteur de l'action, provoque aussi un affaiblissement du système immunitaire, cette réaction étant amplifiée en situation d'inhibition de l'action (9). A l'inverse, le système nerveux parasympathique, activé en situation de plaisir, de relaxation et de méditation, accroitra les défenses immunitaires...

Toutes ces données confirment que le système de plaisir a une action préventive sur la maladie; lorsqu'il est bloqué, la vulnérabilite de l'organisme est accrue.

Les glucocorticoides affectent cette phase du sommeil que l'on appelle le "sommeil paradoxal", durant laquelle les rèves se produisent. Les malades psychosomatiques ont une pauvre imagination et ne rêvent à peu près pas, car ils sont sous l'emprise du système inhibiteur de l'action. Les glandes surrénales sécrètent des glucocorticoides en grand nombre, ce qui perturbe le sommeil paradoxal et empêche la venue des rêves (10). C'est aussi au cours du sommeil paradoxal que se fait la synthèse de nombreuses protéines, utiles à la construction des tissus de l'organisme. Le lien entre un sommeil de qualité et un système immunitaire efficace est du reste incontesté (11). Les gens qui dorment bien ont un meilleur système de défense.

Déplaisir et dégénérescence cellulaire

Le système de plaisir fonctionne grâce aux catécholamines (noradrénaline et dopamine). Si le sujet est en situation d'inhibition de l'action, il ne peut se faire plaisir. Qu'advient-il alors des catécholamines qui, en l'absence de plaisir, ne peuvent être libérées? Elles demeurent dans la terminaison synaptique. C'est là qu'en vertu du recyclage continu des nouvelles catécholamines, elles seront éliminées. En situation agréable, ce recyclage se fait naturellement. Mais en situation d'inhibition de l'action, les catécholamines restent à l'intérieur de la synapse où elles sont dégradées. Il existe deux enzymes de dégradation des catécholamines: la monoamie oxydase (MAO), dont le travail s'effectue à l'intérieur de la terminaison synaptique, et la catechol-O-methyltransferase (COMT), qui agit au niveau de la fente synaptique. Lorsque ces enzymes attaquent les neurotransmetteurs, elles laissent derrière elles des produits de dégradation, différents, selon que la molécule est dégradée par la MAO ou par la COMT. La COMT fonctionne selon un principe de méthylation, qui engendre un groupe de CH3. La MAO donne naissance à de l'H2O2, autrement dit à de l'eau oxygénée, puissant oxydant capable de fournir des radicaux libres. Sans décrire tous les mécanismes biochimiques complexes sous-jacents au phénomène (12), expliquons ce que sont les radicaux libres et quels sont leurs effets sur l'organisme.

Les radicaux libres sont des atomes auxquels il manque un électron sur la couche périphérique. Très réactif, cet atome va chercher sur un atome voisin l'électron qui lui manque, produisant ainsi un autre radical libre, et ainsi de suite. Ce remue-ménage se produit à l'intérieur de la cellule; les radicaux libres ne vont pas s'attaquer à n'importe quel atome, mais auront une préférence pour les atomes qui construisent la membrane cellulaire. Cette dernière est faite de lipides (les phospholipides membranaires), dont certains, pour plusieurs raisons, sont plus vulnérables aux radicaux libres. En s'attaquant à la membrane cellulaire, les radicaux libres finiront par la détruire et par provoquer la mort de la cellule (13).

Les radicaux libres jouent un rôle dans de nombreuses autres affectations: artérosclérose, infarctus du myocarde, lésions du génome provoquant des altérations de l'ADN, perturbation dans la synthèse des protéines, l'épilepsie, etc.

Qu'est ce que le vieillissement sinon une dégénérescence cellulaire? Que sont les maladies d'Alzheimer, de Parkinson, d'Huntington, de Pick, la sclérose en plaques, sinon la mort massive des cellules du cerveau? Le déplaisir conduit donc à un vieillissement prématuré et même, aux maladies que l'on vient d'évoquer.

Notes et références

2. A. Sari, "Le système immunitaire, un sixième sens?" Sciences & Avenir, 1991, 531, p. 56-61.
3. E.S. Tecoma, L. Y. Huey, "Psychic distress and immune response", Life Sciences, 1985, 36, p. 1799-1812.
4. S. J. Schleifer et al., "Lymphocyte Function in Major Depressive Disorder", Archives of General Psychiatry, 1984,4, p. 484-486.
5. Tiré de S. Villemain, "Stress et Immunologie", Paris, Nodules, Presses Universitaires de France, 1989.
6. S. E. Keller, J. M. Weiss, S. J. Schleifer, N. E. Miller, M. Stein, "Stress-induced supression of immunity in adrenalectomized rats" Science, 1983, 221, p. 1301-1304.
7. D'après S. Villemain, op. cit.
8. Ibid.
9. M. Boranic et al., "Supression of immune response in rats by stress and drugs interfering with metabolism of serotonin", Annals of New York Academy of Sciences, 1987, 496, p. 485-491.
10. M. Jouvet, "Le Comportement Onirique", dans Le Cerveau, Bibliothèque pour la Science, 1979, p. 146-159.
11. J. M. Krueger, M. L. Karnovsky, "Sleep and immune response", Annals of New York Academy of Science, 1987, 496, p. 510-516.
12. Pour plus de détails, le lecteur pourra se référer à H. Laborit, 1986, op. cit.
13. Voir R. Walford, "Un régime de longue vie", Paris, Laffont, 1988.

Extrait de "LA SAGESSE DU PLAISIR" de Daniel Chabot - Les Editions Quebecor.


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