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forum sidasante

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Alors je prends acte et je retire mes qualificatifs déplacés concernant l'essai Biotrial, issus il est vrai de la lecture de la presse davantage que de mes propres recherches, alors que d'habitude j'essaie d'être plus prudent. Je m'en excuse pour les lecteurs, c'est vrai qu'une des tares de l'époque est de diffuser et rediffuser des infos sans en préciser les sources et leurs limites.

Néanmoins il me semble quand même hasardeux d'accoler les termes "éthique" et "infaillible", de marier ainsi la subjectivité et l'objectivité; personne, ni toi ni moi ni les meilleures volontés du monde ne sont à l'abri d'une erreur de jugement. 

D'autre part et sans disposer d'éléments aussi personnels que les tiens sur cette affaire, il me paraît particulièrement sain que la presse enquête sur ces affaires de ce type, d'autant que dans le cas présent, un grand nombre des articles publiés par Médiapart sur le thème étaient assez fournis et pédagogiques. Par exemple sur la question-clé des symptômes décelés chez les animaux, que le journaliste et certains de ses contacts jugent qu'ils ont été sous-estimés, et là où le CSST juge qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat, ils ont posé des questions précises, peut-être à côté de la plaque, mais pas illégitimes. Ci-dessous un extrait d'un des articles de Médiapart sur la question, qui me semble à l'opposé des raccourcis hâtifs (des "choux gras") parfois en vigueur : la question a été bossée même si on est pas obligé d'avoir le même avis.

Citation

Avant d’essayer le BIA 10-2474 sur l’homme, Bial a fait réaliser par deux laboratoires sous-traitants une série d’études précliniques sur quatre espèces animales (rat, souris, chien et singe). Le CSST s’est étonné de l’utilisation, d’après lui « très inhabituelle », de quatre espèces différentes pour un dossier de ce type. Malgré leur nombre, ces études, menées par les centres Harlan Laboratories SA en Espagne, et AnaPath Gmbh en Suisse, sont assez peu informatives. Grosso modo, elles ont permis d’identifier le niveau de dose auquel la molécule est toxique et celui où elle ne provoque aucun effet.

En revanche, ces nombreuses études n’ont pas donné d'informations sur le type d'effets secondaires apparaissant chez les animaux ; elles n'ont pas permis, selon le CSST, de repérer de « toxicité spécifique » de la molécule. Ce qui impliquerait qu’il était impossible d’anticiper les dramatiques effets secondaires survenus pendant l’essai de Rennes : pour le CSST, les études animales ne généraient « a priori pas de signal particulier contre-indiquant un passage chez l’homme ».

Malgré cette conclusion, le CSST a jugé utile de demander à Bial une série de précisions complémentaires, ne figurant pas dans le dossier initial qui a servi à autoriser l’essai. Le CSST a demandé en particulier des éclaircissements sur les circonstances dans lesquelles des chiens sont morts au cours d’une étude où ils recevaient des doses de la molécule pendant 13 semaines. Beaucoup de ces chiens ont eu des lésions pulmonaires (broncho-pneumopathies) et deux ont dû être sacrifiés avant la fin de l’étude.

La mort des chiens pendant les études précliniques était-elle un élément significatif ? Le protocole de l’essai est très discret sur le sujet et ne décrit pas la pathologie des chiens. L’information sur leur décès a été d’abord divulguée par Le Figaro en février, ce qui a entraîné des protestations de la famille et de l’avocat de Guillaume Molinet, le volontaire décédé. Stéphane Schubhan, l’un des volontaires qui ont été gravement atteints, a déclaré à RTL : « Ce sont des choses qu’ils nous ont cachées. S’ils me l’avaient dit, je n’aurais pas participé à ce protocole et je ne serais pas là comme ça. »

François Hébert, directeur adjoint de l’ANSM, a expliqué à divers médias, dont Mediapart, que l’information n’apportait rien au débat, parce que les lésions pulmonaires des chiens n’avaient rien à voir avec le cerveau. Il ajoutait que les doses données aux chiens étant beaucoup plus fortes que celles administrées aux humains, on ne pouvait pas anticiper de la mort des chiens un risque pour l’homme.

Il se peut que cette analyse soit trop hâtive. Certes, le poumon et le cerveau sont des organes différents. Mais il existe une pathologie assez fréquente chez les chiens (et qui existe aussi chez d’autres animaux et chez l’homme), qui s’appelle la « pneumonie d’aspiration » (ou « par aspiration »). Elle se produit lorsque l’animal inhale des aliments ou des corps étrangers, par suite d’une « fausse route », résultant de troubles de la déglutition ; or l’une des causes les plus fréquentes de cette pathologie est un trouble neurologique (plus d’un quart des cas selon une étude américaine ; voir aussi cet article des Merck Manuals).

Un neurologue et un vétérinaire interrogés par Mediapart confirment que si la molécule de Bial a atteint les centres neurologiques contrôlant la déglutition, elle a pu provoquer cette pathologie chez les chiens. Or, chez les volontaires victimes de l’accident, la molécule a touché une structure du cerveau appelée le pont, la partie centrale du tronc cérébral, qui joue un rôle crucial pour la motricité et notamment la parole, la déglutition et le contrôle des muscles du visage.

Interrogé par Mediapart, Stéphane Schubhan nous a confirmé que l’un de ses premiers symptômes a été une difficulté à parler accompagnée de problèmes de déglutition qui ont duré des semaines. Chez Guillaume Molinet, le volontaire décédé, les médecins du CHU de Rennes ont constaté des problèmes de déglutition qui ont nécessité de l’intuber lorsqu’il est tombé dans le coma.

Il n’est donc pas absurde d’imaginer que les chiens, qui ont reçu des doses beaucoup plus fortes que les humains, aient été atteints de troubles de la déglutition et qu’ils aient souffert de pneumonie d’aspiration, ce qui expliquerait leurs lésions pulmonaires.

Si cette hypothèse était confirmée, elle signifierait qu’apparaissait bien une toxicité neurologique de la molécule dans les études sur les chiens, qui plus est produisant une pathologie similaire à celle observée sur les volontaires. L’homme et le chien sont certes des espèces différentes, mais il ne serait pas incohérent que la molécule produise des effets toxiques apparentés chez l’un comme chez l’autre.

Le problème des chiens est d’autant plus épineux que les études menées par Bial montrent que la dose donnée à ces animaux a été diminuée en cours de route, ce qui suggère la survenue d’un effet imprévu. Ce point n’a pas été expliqué par Bial.

Chez les singes, la molécule a eu également des effets toxiques, qui ont entraîné le sacrifice de plusieurs animaux. Le CSST a demandé à Bial des explications sur les raisons de cette mortalité et les résultats d’éventuels examens du cerveau des primates concernés. Nous ignorons quels éléments Bial a communiqués aux experts sur ce point, et de quelle pathologie précise ont été atteints les singes.

Le CSST indiquait aussi dans son premier rapport que l’on avait observé « chez le rat et la souris, des atteintes cérébrales, notamment au niveau de l’hippocampe », chez des animaux traités à de très fortes doses.

Selon l’expert du CSST que nous avons interrogé, on peut regretter que les études de Bial n’aient pas comporté de tests cognitifs chez les rongeurs, consistant par exemple à les placer dans un labyrinthe en T ; de tels tests auraient pu détecter une toxicité neurologique même à des doses relativement modérées. « Mettre en essai clinique une molécule agissant sur le système nerveux central alors qu’on n’a aucun test cognitif chez l’animal est aberrant, estime notre expert. La réglementation le permet, mais c’est fou. »

Sans refaire tout le film ni analyser tous les articles et rapports des uns et des autres, ni l'enjeu des rapports censurés ou pas que la justice tranchera (ou pas...), il me semble que cette divergence d'appréciation n'est pas anormale dans le rapport entre les autorités sanitaires et une presse dont la fonction doit être aussi de construire un avis indépendant; Il est difficile à mon avis de faire beaucoup mieux que ce que la presse a fait là avec les moyens journalistiques dont ils peuvent disposer, sauf exiger qu'elle soit aussi experte que les experts, ce qui est impossible.

Parfois la presse qui enquête peut certes se planter, mais ça me parait moins grave que d'avoir une presse qui n'enquête pas sur ce type de sujet. Même la presse dont l'éthique semble indiscutable. La revue médicale  Prescrire, financièrement indépendante des annonceurs pharmaceutiques, et qui a été l'une des sources de l'affaire du Médiator (ce serait un article de la revue qui aurait attiré l'attention d'Irène Frachon sur la molécule), décerne chaque année une pilule d'or aux médicaments qui couronnent une véritable avancée thérapeutique selon eux, et il n'y en a pas toujours : seule une quinzaine de molécules couronnées depuis 1981, en prenant soin de faire le tri parmi les dizaines de molécules annoncées comme révolutionnaires par les labos et qui ne le sont que rarement. Et pourtant parmi les quinze meilleures molécules des 35 dernières années selon Prescrire, on trouvera en 1988 le Retrovir, nom commercial de  la Zidovudine - c'est-à-dire l'AZT, celle-là même qui constitue, pour d'autres, une des pires molécules de l'histoire.

Cela dit, je te rejoins volontiers sur la dangerosité des essais cliniques par nature (sans parler des armées de primates que l'on sacrifie dans les premières phases), et sur le caractère relativement minime des manquements reprochés dans la presse à Biotrial (s'ils sont confirmés), malgré les conséquences tragiques, notamment par rapport aux énormités que l'on peut voir ou suspecter dans d'autres domaines pharmaceutiques et notamment celui qui nous réunit ici où les morts potentielles ne se comptent pas en unité mais en dizaines de milliers.

Mais peut-être est-ce bien d'attirer l'attention de tous les experts même sur des faits minimes, et le cas où même un peu à tort, si cela peut inciter l'ensemble de la profession, qui s'est révélée plus ou moins faillible, à être plus vigilants dans toute la chaîne de responsabilité, et éviter de nouveaux AZT et Mediator aux conséquences potentiellement bien plus dramatiques.

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Je suis bien sûr d'accord quand tu me reproches ma subjectivité sur le jugement de certains rapporteurs, je ne le nierai pas. Mais, pour ceux que je connais et de ce que j'ai pu voir, ce sont des gens très dévoués au service public, d'une méfiance extrême vis-à-vis de Big Pharma et qui ont toujours pris soin de n'avoir aucun lien d'intérêt. Personne n'est bien sûr infaillible et ni tout blanc ou tout noir, mais je voulais juste éviter que l'on tombe dans le discours désormais convenu du "tous pourris" et de la corruption institutionnelle par Big Pharma (qui reste cependant une réalité pour un certain nombre de cas, hélas trop nombreux, l'analyste de ce secteur que je suis le souligne suffisamment par ailleurs).

Je suis également d'accord que ce soit plutôt une bonne chose que la presse relaye ce type d'informations, malgré des déformations possibles : on aurait aimé qu'un tel travail fût fait bien avant pour Médiator, Vioxx et quelques autres. Cela dit, pour avoir assisté de mes yeux à quelques questions de journalistes de France 3 et de Médiapart sur ce sujet dans un colloque, force est de constater qu'ils sous-estiment l'incertitude propre à toute recherche clinique et qu'il y a beaucoup de sensationnalisme (mais qu'on peut comprendre dans le contexte post-Médiator). C'est une pratique assez typique dans les essais sur les animaux de savoir à partir de quel dosage on tue un animal. Il est donc assez logique, dans une étude de toxicité, d'observer à des dosages élevés quelque effet toxique ou des morts chez les animaux, puisque c'est le but. Ce "détail" n'avait pas été effleuré par les journalistes, mais en même temps, ce n'est pas leur métier. On notera que le rapport ne dit pas que l'essai était "parfait", puisque quelques questions ou incertitudes sont soulevées, mais assez secondaires. On est très loin d'une manipulation ou de je ne sais quel test à la Frankenstein.

Rappelons aussi qu'en comparaison avec Médiator, l'IGAS (institution considérée très à gauche dans l'espace de l'administration) avait rendu un rapport à juste titre au vitriol, ce qui n'est pas le cas ici, où le rapport note qu'il n'y a eu aucune infraction à la réglementation, mais effectivement, que l'on aurait dû faire une escalade des doses moins rapide (arithmétique plutôt qu'exponentielle) pour limiter les risques. Cela est soulevé dans le rapport du CSST. Les deux rapports soulèvent aussi le manque d'intérêt thérapeutique du produit, mais dont on ne peut avoir le coeur net qu'une fois que l'essai est réalisé, ce que l'on peut déduire maintenant, sans absolu certitude néanmoins puisque l'on s'est arrêté en phase 1... Mais objectivement, ce ne sont pas des dysfonctionnements majeurs, en tout cas sans commune mesure avec les autres cas évoqués. Bref, a posteriori, il est facile de dire qu'il n'aurait pas fallu faire comme ceci ou cela et on est d'autant plus près à trouver des dysfonctionnements que l'événement a été tragique.

Un dernier point à noter, c'est que l'ANSM, qui a remplacé la défunte AFSSAPS, n'a pour l'instant pas pu regagner le déficit d'image et de légitimité lié Médiator. Les médias ici jouent un rôle non-négligeable (vous me direz, c'est de bonne guerre). Cet accident, difficilement prévisible, ne va pas redorer son blason.

 

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Certaines choses sont vraiment contre-intuitives pour ceux qui n'ont pas été conditionnés à trouver ça normal, même si on sait qu'on le sait, et qu'on sait qu'on en profite. L'idée de tuer volontairement des animaux - des primates - pour sauver la vie des hommes nous ramène pourtant plutôt au sacrifice d'Abraham qu'à l'hypermodernité présumée des biotechnologies. Surtout lorsque nombre d'individus des groupes dominés ont joué le rôle du bélier pendant des décennies pour construire les bases de cette science.

Peut-être qu'en assumant un peu plus sa tension permanente entre pulsions de vie et de mort, en assumant l'étendue de son ignorance face au vivant et la sérendipité de nombre de ses découvertes, bref en retrouvant une certaine humilité derrière la puissance incontestée mais fragile de certaines molécules, l'industrie pharmaceutique et les agences qui la contrôlent pourront peut-être aussi se réinscrire dans la réalité de leur histoire, de leur rôle social, et retrouver un certain crédit.

Mais heureusement que la dialectique n'existe pas en gélule, sinon j'aurai déjà fait plusieurs overdoses.

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