Aller au contenu
forum sidasante

Econoclaste

Membres
  • Compteur de contenus

    159
  • Inscription

  • Dernière visite

  • Days Won

    5

Tout ce qui a été posté par Econoclaste

  1. Bonjour, je lance ce topic assez périphérique pour discuter de questions épistémologique et de sociologie des sciences. L'objectif serait de réfléchir sur le rôle de la contradiction et du débat en science par rapport à la méthode du "consensus scientifique". La contradiction et le débat en science sont normales, puisque le scepticisme et le rationalisme sont la règle. Cependant, la pensée universaliste et rationaliste en déduit aussi le principe du tiers exclu selon lequel une proposition ne peut être à la fois vraie et fausse, et qu'il doit exister des vérités universelles... donc des consensus. C'est aller un peu vite et oublier que deux théories peuvent être cohérentes en même temps. Alors viens l'expérimentation ou plus généralement l'empirie pour savoir laquelle des théories prévoit le mieux les phénomènes. Certes et le plus souvent cela marche mais ce n'est pas toujours aussi simple, puisque les "faits" qu'on étudie et mesure sont construits par la science et que parfois les systèmes étudiés sont trop complexes et l'expérimentation délicate (en économie par exemple, l'expérimentation, à de très rares exceptions près, est presque impossible : on ne va pas baisser les salaires de tout le monde de 50% juste pour vérifier si cela diminue ou augmente le chômage ; en climatologie, on ne va pas diminuer les émissions de CO2 de 95% juste pour savoir si cela va ralentir le réchauffement...). J'ajouterais que de nombreux scientifiques virent au scientisme pur et simple (religion de la science) quand ils oublient que la science ne fait qu'édicter des vérités temporaires, toujours révisables au fur et à mesure des découvertes. Cela est tout à fait manifeste quand certains parlent de "faits", alors que l'on sait que la science est épistémologiquement constructiviste (on ne connaît que les modèles et théories que l'on a construit, jamais une "réalité" brute) et critique (au sens qu'elle interroge les limites des connaissances). Le scientisme et le consensus sont d'autant plus probables que l'idéologie spontanée des scientifiques les pousse à croire La Vérité et en la Science et la Raison par bonne foi. Pourtant, la science est à la fois évolutionniste, critique et constructiviste. La critique et les débats, par le biais des colloques, communication et publications en peer review sont là pour valider ou invalider les hypothèses et théories scientifiques. L'opinion de la communauté est la seule et unique façon de contrôler si les collègues n'ont pas fait d'erreurs. Mais ce n'est pas toujours certains que les collègues refassent toutes les manips et contrôlent dans tous les détails. Du coup, les articles contestataires sont en général minoritaires. Mais ils sont d'autant plus improbables qu'il existe un consensus large. Or comme le consensus ne change pas du jour au lendemain, il est toujours risqué pour la carrière d'aller à l'encontre...mais en même temps, si on parvient à bouleverser le consensus en apportant des nouvelles interprétations, méthodes, résultats, cela peut être un accélérateur! A quelles conditions des opinions contraires peuvent-elles consensus sont les plus difficiles à fragiliser? Je ne fais ici que proposer ici quelques hypothèses pour discuter. H1 : le consensus sur un sujet est d'autant plus difficile à rompre que l'objet étudié a des conséquences éthiques et politiques importantes. On comprend bien qu'une controverse portant sur la possibilité de particules supra-luminiques pourra plus facilement bouleverser le consensus car bien peu de gens sont capables de comprendre et dont les implications éthiques et politiques sont nulles. Au contraire, avec les controverses sur le SIDA, sur le réchauffement climatique ou même lorsque Galilée affirma que la Terre tournait, et bien là, le consensus apparaît plus difficile à rompre et la dissidence aura plus de mal à exister car : - des intérêts (scientifiques, économiques et/ou politiques) sont en place, qui "vivent" du consensus : financements, recherches... ; - les scientifiques qui travaillent sur des questions aux conséquences éthiques peuvent vivre leur travail comme une mission pour sauver l'humanité (les scientifiques ont souvent tendance à se vivre ainsi, mais la chose est encore plus probable sur ces questions) et dès lors contester le consensus a aussi des implications éthiques pour les scientifiques qui peuvent être sérieuses. On voit d'ailleurs que la frontière entre le positif et le normatif est beaucoup moins étanche qu'on le dit souvent dans ces cas là. H2 : un consensus majoritaire est d'autant plus difficile que le phénomène est complexe et que la vérification empirique est délicate. Je suis moins sûr de celle-ci, mais ça me paraît assez clair en sciences humaines, où il existe toujours du fait de la complexité de l'objet et de la difficulté à tester empiriquement, de multiples interprétations/théories possibles. Je voudrais finir sur la question du réchauffement climatique. Le parallèle avec la recherche sur le SIDA est ici assez édifiant. Il existe un mainstream (globalement défini par le GIEC) qui se définit comme le consensus et un certain nombre de scientifiques dissidents (Allègre n'en est qu'un parmi bien d'autres). Ces derniers sont vilipendés et traités de "denialists" (tiens, tiens...), considérés comme de pauvres incompétents qui parlent d'un sujet qu'ils ne connaissent pas car ils contestent les scénarios du GIEC. Comme dans le cas du SIDA, le GIEC et ses épigones se vivent comme les sauveurs de l'humanité (climatologue = écologiste), en voulant explicitement faire pression sur le politique pour que des mesures visant la réduction des émissions de CO2 soient mises en place. La différence ici est que dans le cas du réchauffement, la plupart des industries par intérêt auraient à supporter les dissidents (mais pas forcément toutes, car les secteurs "verts" ont intérêt à ce que le protocole de Kyoto soit appliqué) tandis que dans le cas du SIDA, les intérêts économiques sont dominants côté mainstream. Juste quelques liens parmi bien d'autres : http://www.pensee-unique.fr/froid.html Un site qui défend les "faits" scientifiques, et tous les consensus écolo-bien-pensants compatibles (dont le sida) : http://www.greenfacts.org/fr/changement-cl...e-re4/index.htm Je précise tout de suite que je ne suis pas ici pour donner raison aux "climato-sceptiques", je me contente de constater et de militer pour le pluralisme scientifique.
  2. Merci Jardinier. Je me permets d'ajouter quelques éléments, à partir de mes propres enquêtes. Clairement les ambitions initiales ont été revues à la baisse, grâce à un travail de sape des députés UMP proches des labos, notamment de Servier. Par exemple, au Sénat, le sénateur Autain a été mis Président de la mission d'information sur le Mediator (qui devait être originellement une commission d'enquête parlementaire) afin d'éviter explicitement qu'il soit rapporteur, de peur qu'il soit intraitable envers Servier. Selon ce dernier, il n'y avait pas à attendre grand chose de ce projet de loi dans la mesure où l'UMP a retiré de nombreux amendements fâcheux. Ajoutons aussi que la réglementation européenne a borné les possibilités de réforme. Par exemple, il était proposé par certains parlementaires de ne donner l'AMM qu'en cas d'amélioration clinique, cela n'a pas été retenu car cela va à l'encontre de la politique communautaire. D'ailleurs, Autain a précisé avoir interrogé un "expert" dont on taira le nom qu'il aurait interrogé lors de la mission d'information et qui lui aurait dit à peu près que les législateurs n'oseraient jamais le faire car "ce serait la mort de l'industrie pharmaceutique". Sur les conflits d'intérêt, on est encore loin d'être à une situation parfaite, car on se contente juste de la transparence (qui était officiellement obligatoire avant...), sans supprimer les liens d'intérêts ou en se dotant comme la FDA d'un nombre important d'évaluateurs internes. Il y a certes une avancée dans le financement de l'agence (jusqu'à présent, elle était financée à 80% par les frais de dossiers, désormais l'Etat contribuera beaucoup plus en proportion). Bref il ne s'agit pas d'une révolution, mais de petites avancées. L'espoir est peut être qu'à l'avenir on fera "mourir" économiquement plus aisément les médicaments via les études comparatives. Sur les ATU (autorisations temporaires d'utilisation) existent toujours, alors qu'elles sont une aberrations économiques (pas de contrôle des prix) et de sécurité... et c'est particulièrement les antirétroviraux qui ont bénéficié de ces dispositifs sous la pression d'associations de patients comme Act Up, grands supporters de l'outil car à leurs yeux, il permettrait de sauver de nombreuses vies...Ce n'est évidemment pas le cas, comme nous le savons ici. Enfin, il faudrait évidemment changer l'EMEA, mais là ça ne peut pas se faire à l'échelle nationale par définition...
  3. Sur les rapports entre science, journalisme et industrie, un extrait d'un ouvrage qui peut être très éclairant pour comprendre un certain nombre de problèmes liés à la dissémination des résultats scientifiques, comme d'ailleurs le comportement des scientifiques tendant à exagérer la portée de leurs résultats. Je précise que ceci est connu mais comme c'est clair... http://www.acrimed.org/article3723.html Cela complète ce que je racontais ici : http://www.sidasante.com/forum/index.php?s...pic=17352&st=80
  4. @Jardinier et Jibrail Désolé pour le temps de réponse, mon PC a de gros soucis en ce moment. Voici l'équipe qui travaille sur cette question des ARV comme moyen préventif de "transmission du VIH" en Afrique. http://www.isped.u-bordeaux2.fr/FR_HTM_equipe.aspx?CLE_EQU=4 L'ANRS fait en effet partie des partenaires...
  5. J'ai regardé en vitesse ce truc de Rethink HIV. Je confirme ce que dit Jibrail, cette évaluation coût-bénéfice, c'est du grand n'importe quoi. Outre la critique juste faite par Jibrail sur l'absence d'intervalle de confiance et de mesure de la sensibilité, tout ce délire repose sur le postulat propre à l'économie orthodoxe d'une possible évaluation monétaire de l'utilité (donc de la santé). Ensuite, aucune analyse des coûts sur l'ensemble de la filière. Et surtout utiliser le calcul des T4 comme proxi de l'amélioration ou de la diminution de l'espérance de vie, qui plus est sans comparer versus placebo. Deuxio Le panel d'économistes pourrait paraître impressionnant, mais c'est du pipeau. Il y a certes trois prix "d'économie en l'honneur d'Alfred Nobel", mais : Prescott est un macroéconomiste, qui n'y connaît absolument rien à l'économie de la santé et encore moins sur la médecine tout court. Idem pour Vernon Smith, dont les contributions principales relèvent de l'économie du droit et de l'économie expérimentale (discipline sur lequel il y aurait beaucoup à dire)...Quant à Schelling, ces contributions relèvent de la théorie des jeux et de l'émergence des conventions, donc encore une fois aucun rapport avec l'économie de la santé. Ce sont tous les trois des économistes orthodoxes, faut-il le préciser. En gros, ça fait joli sur le papier, mais comme le dit Jibrail, il n'y a rien de plus inutile... Sur un autre sujet qui devrait intéresser plusieurs personnes, je viens d'apprendre qu'un groupe de recherche est entrain d'entamer des travaux pour étudier "in vivo" les possibilités d'utiliser les ARV de façon préventive en Afrique!!!! Du grand n'importe quoi, le rapport Yeni s'appliquera finalement en Afrique et pas dans les pays de l'OCDE, comme on pouvait s'y attendre cher Jardinier...
  6. Merci Jardinier, je trouve le texte de Murphy assez intéressant. Etat économiste, si tu arrives à avoir les infos sur les économistes qui ont été "mobilisés" pour cette stratégie danoise et internationale, je pourrai voir facilement de qui il s'agit et d'où ils viennent (scientifiquement, idéologiquement etc). Pas si étonnent que cela de voir Lomborg dans le coup, son ouvrage hautement controversé (l'écologiste sceptique) finissait par dire que le réchauffement climatique est un faux problème et que l'environnement s'améliore, et donc qu'il vaut mieux réduire la pauvreté et améliorer la santé que de s'intéresser à sauver les bébés phoques (je caricature un peu)... Sur la référence à Root-Bernstein & Co, je trouve que c'est tout de même intéressant, car cela peut peut être signifié une évolution du "traitement" du SIDA comme d'ailleurs dans la façon de poser le problème au moins en Afrique. Un de mes collègues médecin m'a indiqué qu'en Afrique du Sud, certains concepteurs des politiques de santé publique sur le SIDA (en partie probablement suite à la rencontre Mbecki/dissidents), ont compris que les "sidéens" meurent avant tout de tuberculose ou de malaria, et donc qu'il vaut mieux les traiter contre ces maladies plutôt que contre le VIH... A vérifier mais ça me paraît plutôt positif.
  7. Jardinier, je pense que si tu veux réfléchir à cette question (et moi aussi), il serait intéressant de lire l'ouvrage de Bruno Latour et Steeve Woolgar "Laboratory Life: The Social Construction of Scientific Facts" http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vie_de_laboratoire Même si je ne suis pas un grand fan de Latour, c'est un ouvrage qui a fait date... Sinon, j'ai trouvé ça que tu connais peut être... http://apad.revues.org/476 Pas suffisant, vu que ça en reste en partie à la surface du problème, mais pas non plus inintéressant A lire aussi sur un champ qui m'intéresse plus (à voir aussi la biblio où la question du SIDA est évoquée dans certains travaux) rt6-afs.org/IMG/doc/LORIOL.doc
  8. Jibrail, merci pour ton message et je suis parfaitement d'accord quand tu dis qu'une approche sociologique ne peut pas se passer d'être au plus près du débat tel qu'il se fait dans les sciences dures. Après cela ne veut pas dire non plus que les scientifiques "durs" n'ont rien à apprendre des "mous" (et vice et versa). Une critique conséquente de toute cette affaire suppose une vraie approche transdisciplinaire. Je te rejoins aussi sur la problème de l'expérimentation. En effet, c'est là la faille de la dissidence pour le moment, faille qui vient principalement de son manque de ressources (économiques et symboliques). Ajoutons qu'aucune expérimentation n'est purement empirique, elle est toujours une construction fondée sur une représentation théorique du problème et la manière de le valider empiriquement. Aucune expérimentation n'est donc "a-taxonomique" si je puis dire. Pour savoir si les ARV servent vraiment à quelque chose, il faudrait s'assurer à tout moment que la définition du SIDA retenu est la même dans chaque expérimentation, la manière dont elle est mesurée/appréciée par les cliniciens, voire s'il n'y a pas des regroupements indus... On sait par exemple très bien qu'il y a tout un tas d'artifices statistiques pour rendre significatif l'efficacité d'un traitement (en sous-dosant ou surdosant le comparateur; en excluant de l'essai tels et tels types de patients; voire en masquant carrément certains résultats, j'en sais quelque chose pour travailler sur l'industrie pharma depuis longtemps maintenant). L'autre solution serait évidemment que les dissidents fassent les essais eux-mêmes, mais étant donné le coup, c'est bien sûr hors sujet. Le problème est la même chose pour les tests. J'aimerais avoir quelques certitudes quant à cette idée défendue par Cheminot et le PG, en étant certain de savoir quelle définition du SIDA est prise pour pouvoir dire que la probabilité de décès augmente significativement quand le test est positif (surtout compte tenu des problèmes de faux positifs innombrables...). Il y a comme cela est indiqué par Jardinier des raisonnements circulaires liés à la définition même du SIDA, donc pour pouvoir dire qu'un test positif détecte bien un problème pathologique, il faudrait être sûr de savoir de quoi on parle... Jardinier, merci pour la référence de Patrick Tort, quand j'aurais le temps je m'y plongerai plus en avant , je suis particulièrement débordé en ce moment, sur des problèmes qui n'ont aucun rapport avec le SIDA.
  9. Bonjour, je me permets de m'introduire dans votre discussion même si je ne suis pas sûr que je le fasse dans le bon topic. Je suis économiste et je travaille également sur la sociologie économique et la sociologie politique. C'est parce que Jardinier que je connais par ailleurs m'avait il y a maintenant un an ou deux appris l'existence de la dissidence que je m'intéresse à vos travaux. Fort de mon expérience et mes connaissances dans ses disciplines, il me semble que la manière dont se structure le champ de la recherche sur le "SIDA" est assez proche de ce qui existe en économie justement. Comme Pierre Bourdieu l'avait montré, on peut considérer que la recherche scientifique est un champ particulier. Rappelons que les espaces sociaux peuvent s'analyser comme des champs, qui sont des sous-espaces de l'espace social, structurés par des règles du jeu et des enjeux spécifiques, des habitus (des pensées plus ou moins inconscientes qui orientent les pratiques et les représentations des agents), des luttes de pouvoir, des rapports de domination et en même temps une commune acceptation par les agents participants à ce champ que "le jeu" vaut la peine d'être joué et donc que le champ existe en tant que tel. Autrement dit, les dominants comme les dominés participent à la reproduction plus ou moins inconsciente de ce champ en adhérant à l'enjeu et aux règles du jeu. Les dominants d'un champ définissent les règles du jeu et les conditions "d'entrée" et les frontières du champ, ce que les économistes appellent les barrières à l'entrée (du marché ou du champ). En économie comme dans la recherche sur le SIDA, il existe un mainstream orthodoxe ultra-dominant, qui définit les objets, méthodes, problématiques pertinentes et ce qu'est la "vraie" science et l'objet à regarder et par la même occasion les revues qui comptent et celles qui ne comptent pas, et en face de multiples hétérodoxies, très variées, qui ont toutes pour point commun un rejet de cette orthodoxie, mais avec une assez forte hétérogénéité pour ce qui est de ces différentes écoles (en économie les dominants sont les néoclassiques, et les dominés sont les postkeynésiens, les néomarxistes, les évolutionnistes, les institutionnalistes... Dans la recherche sur le "SIDA", il y a l'orthodoxie VIH/SIDA et les dissidents qu'il s'agisse de ceux qui défendent la thèse du stress oxydant ou des drogues ou autre). Cette hétérogénéité est bien sûr source de richesse pour les écoles dominées (débats multiples, points de vue et méthodes différentes et originales), mais elle est aussi une source de fragilité, pour de nombreuses raisons : - les dominés, quand ils s’institutionnalisent, ont tendance à se tirer dans les pattes pour définir ce qu'est "l'autre" vérité, et du coup ont du mal à contester le paradigme dominant. - les dominés adhèrent avec les dominants sur le fait qu'il y a un "objet" commun à étudier et des méthodes qui définissent la profession ; - les dominants ont un accès plus aisé aux revues qui comptent, ce qui leur permet de redéfinir en permanence les frontières de la science et les méthodes pertinentes ; - les dominés sont obligés de lire la littérature dominante, les orthodoxes ne se concentrent que sur la littérature orthodoxe. - les orthodoxes ont un accès plus aisé aux financements, aux médias de masse via leur capital social (leurs réseaux) ; - les idées orthodoxes influencent de ce fait plus facilement les politiques publiques, ce qui en rétroaction conduit à consolider la représentation orthodoxe car des politiques publiques sont implémentées qui valident l'existence des problèmes et surtout la manière dont les problèmes et objets sont définis. Plus généralement, tous les dominés subissent en général une violence symbolique, c’est-à-dire que les dominés finissent par croire dans la valeur des institutions créées largement par les dominants pour « récompenser » les dominants du champ (le bon chercheur est celui qui publie dans telles et telles revues ; qui utilise telles et telles méthodes ; qui met en œuvre les standards de la recherche le plus fidèlement ; les prix Nobel…). La conséquence de tout cela, c’est qu’on peut avoir des comportements comme ceux du groupe de Perth : quand un groupe dissident/hétérodoxe cherche à gagner en audience, il risque de taper plus fortement sur les autres dissidents que sur l’orthodoxie. En effet, la violence symbolique implique que les dominés, bien qu’en lutte avec les dominants, ont une propension à considérer les autres dominés comme « hors champs », comme les orthodoxes le font. A contrario, quand la dissidence s’institutionnalise et devient identité, certains des dominés finissent par défendre par principe l’absence de tout compromis avec les orthodoxes (on va rejeter presque par principe toute méthode ou résultat des orthodoxes), pour construire une (petite) cathédrale hétérodoxe. La position dissidente est donc toujours très compliquée et nécessairement fragile par rapport à l’orthodoxie. Sur cette histoire du groupe de Perth, et de ce qui est perçu par certains ici comme une « compromission », le problème vient de mon point de vue aussi de l’adhésion à ce concept de SIDA. Pour ma part, j’ai le sentiment que les gens du groupe de Perth sont très compétents et cohérents. Je n’ai rien à proposer quant à l’idée de sperme comme agent oxydant, je n’en sais rien. Mais les objections fournies par Aixur et quelques autres me semblent assez valables. Est-ce que cela doit remettre en cause la thèse du stress oxydant ? Je n’en suis pas convaincu pour le moment, mais il est clair que comme toute hypothèse, elle soit critiquée, discutée… En tout cas, c’est en cela que les sciences humaines peuvent être utiles, à savoir nous permettre de comprendre comment s’est construit ce concept de SIDA, comment est-il utilisé, manipulé… Si je peux continuer le parallèle, la plupart des économistes croient qu’il y a quelque chose qui s’appellerait l’économie, et qui existerait indépendamment d’autres choses comme la culture, la politique… Pourtant, la chose est tout à fait discutable : pour un sociologue ou un anthropologue (et pour moi), tout est social et l'économique n'est qu'une façon de regarder le monde social, pas une "réalité". Par exemple, une chose aussi "réelle" que le phénomène monétaire n'en demeure pas moins lié à une croyance fondamentale dans le caractère "monétaire" de ce qui n’est qu’un signe, un symbole, un fétiche (la monnaie n'a de valeur que parce que nous croyons qu'elle en a et parce que les autres croient qu'elle en a et que nous croyons que les autres croient qu'elle en a). De la même façon, il me semble qu'on peut considérer que le SIDA comme concept et objet est une construction sociale tout à fait particulière autant (sinon même plus) qu'une réalité indépendante de toute représentation. Rappelons que nous n'avons "accès" à la "réalité" qu'au travers de représentations, qui définissent et ordonnent notre façon de voire le monde. Donc la « réalité » et les phénomènes étudiés par la science sont toujours reconstruits à partir d’un modèle. Qu’il y ait eu une fréquence importante de sarcomes de Kaposi, de Pneumonies etc, est certes un phénomène « réel », ce qui en revanche peut être questionné est l’association causale « immunodéficience (mesurée par les CD T4) => toutes ces maladies ». Il est quand même étonnent que l’on ait cherché une cause unique à une multiplicité d’affections, et qu’on n’ait rejeté aussi rapidement des explications multi-causales ou l’analyse de chaque maladie indépendamment les unes des autres. Cette association « ‘immunodéficience-maladies opportunistes » que l’appelle SIDA est clairement une construction sociale, qui vient de la manière dont on problématisé ces problèmes de santé publique rencontrés par les gays au début des années 1980. De la même façon, il apparaît assez clair que ce que la définition ou l’usage du terme isolation semble avoir été modifiée suite aux articles historiques de Montagnier et alii et Gallo et alii, au moins dans le « petit monde » de la virologie. Je n’ai pas de doute que la très grande majorité des chercheurs sur le SIDA croient « réellement » que le VIH existe. Il suffit de le croire pour qu’ensuite ce qu’on regarde au microscope soit interprété comme tel, même si cela serait vu par d’autres comme des débris cellulaires ou des rétrovirus endogènes (explications du groupe de Perth qui m’ont personnellement convaincu). Ce qui à mon avis est plus étonnent de la part du groupe de Perth, c’est qu’ils ont été parmi les premiers à critiquer la validité des tests, et qu’aujourd’hui ils les réhabilitent, comme si tout ce qu’ils avaient dit sur les risques de faux-positifs, de réactions croisées anticorps-antigènes… n’était plus valide. Leur position sur les ARV est elle aussi en partie critiquable, mais me pose moins de problème : il eut été préférable qu’ils disent « nous ne nous prononçons pas », plutôt que « on n’a pas étudié, mais ça doit aider puisque d’autres l’ont dit ». En même temps, ces produits ont obtenu une AMM évaluée par des groupes d'experts, ce qui est censé être un "garant" de l'efficacité et de la sécurité des produits (ce qui n'est évidemment que purement théorique et très loin des réalités, cf Mediator, Vioxx, AZT etc). Pour déconstruire complètement la question des ARVs, il faudrait étudier chaque AMM pour comprendre pourquoi la balance bénéfices/risques a été considérée comme favorable, pourquoi "au nom de l'éthique", on ne fait pas de tests vs placebo, comment ont été construits les essais, qui ont été les réseaux d'experts interrogés etc... J’ajouterais que la construction sociale des maladies est un problème assez général, qui ne touche pas que le SIDA : par exemple, concernant les maladies mentales, certains considèrent que l’hyperactivité TDAH est largement une construction sociale (des enfants « vifs » ça a toujours existé, et on ne considérait pas cela comme « pathologique » auparavant), comme d’ailleurs pas mal de « désordres » définis dans le DSM, comme les « troubles d’anxiété sociale », qu’on appelait autrefois timidité tout simplement. Quand je dis construction sociale de la maladie, je ne dis pas que les malades ne sont pas malades et que la maladie serait forcément purement imaginaire, mais on indique que ce qu’un certain phénomène, que nous associons à la santé d’une personne ou d’une population, est défini historiquement par la science ou l’idéologie (deux choses que je ne mets pas sur le même plan) comme une pathologie. Or, par exemple, l’invention d’un médicament quel qu’il soit, peut amener à redéfinir via la manière dont sont conçus les essais cliniques ce qu’il traite. Philippe Pignarre avait montré comment la définition de la dépression fut complètement remise en cause avec l’arrivée des neuroleptiques. Cela ne doit pas nous amener à rejeter par principe toute nosologie médicale, tout usage de la prévalence comme le croit Jardinier, mais de toujours regarder de façon critique comment sont construites ces taxonomies, statistiques, ce qu’elles sont censées mesurer et surtout les usages qui en sont faits. C’est pour cette raison que je pense qu’il pourrait être utile que sur cette problématique SIDA, une collaboration sciences « dures »/sciences humaines serait profitable. Je crois qu’il y a matière à étudier ce que font vraiment les chercheurs orthodoxes dans les laboratoires, à étudier comment sont utilisées les ARV et comment ils ont redéfini le « SIDA », le rôle de l’OMS… Tout ce travail a déjà été en partie fait par les dissidents, mais il serait nécessaire d’enquêter au plus près des acteurs (un peu comme dans House of Numbers) d’écrire un ou des articles dans des revues scientifiques en sociologie ou autre pour montrer comment cette construction qu’est le SIDA s’est institutionnalisée, le rôle des groupes de pression, des réseaux… Cela éviterait que l’on tombe dans les thèses « complotistes », qui sont en général à l’antithèse de ce que montre la sociologie.
×
×
  • Créer...